Cotitularité du bail des époux et jugement de divorce
Auteur : FOUCHERAULT Sébastien
Publié le :
23/11/2015
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Le logement qui, selon la célèbre formule du Doyen CARBONNIER, est à la famille ce que le nid est à l’oiseau, est sujet d’application de multiples dispositions législatives et réglementaires, évoluant notamment selon et en fonction des mutations sociales affectant l’organisation familiale, ainsi que d’un abondant contentieux au sein duquel l’application de l’Article 1751 du Code Civil relatif à la cotitularité légale des époux sur le logement loué tient bien sa place.L’arrêt à l’origine de la présente note (Civ. 3, 22.10.2015 n°14-23.726 : Jurisdata n°2015-023510) s’inscrit dans cette production jurisprudentielle.
Avant d’en examiner les termes et conséquences, il peut être utile de rappeler schématiquement quelques principes.
En matière de baux d’habitation la cotitularité peut être légale ou conventionnelle.
La distinction de ces deux régimes juridiques peut être difficile d’accès pour les usagers, la cotitularité pouvant naître du seul effet de la Loi en l’absence de cotitularité conventionnelle résultant de l’organisation choisie par les co contractants tandis que cette même organisation conventionnelle peut être paralysée par l’application des principes tirés de la cotitularité légale comme nous le confirme l’arrêt à l’origine de la présente note.
La cotitularité conventionnelle intéresse tous les baux (habitation, mixte, professionnel …) signés entre cotitulaires comportant une clause de cotitularité.
La cotitularité légale a un tout autre domaine.
Elle intéresse, et c’est là l’objet de l’arrêt ayant suscité la présente note, les personnes mariées.
Elle intéresse encore les personnes pacsées.
Domaines de la cotitularité légale :Elle intéresse, au terme de l’Article 1750 du Code Civil, les époux uniquement en ce qui concerne les baux à usage d’habitation.
L’Article 1751 du Code Civil exclut en effet du champ d’application de la cotitularité du bail entre époux les baux mixtes ou professionnels.
Cette cotitularité légale naît sans autre condition que l’existence du mariage.
La date du mariage est indifférente, qu’elle soit antérieure ou postérieure à la souscription du contrat de bail.
Seule importe l’occupation effective du logement par les époux au moins un temps pendant le mariage (Civ. 3 31.05.2006 n°04-16.920 : Jurisdata n°2006-033726) : il suffit que le local ait effectivement servi à l’usage d’habitation des deux époux au cours du mariage pour que naissent sur ce logement loué les effets de la cotitularité légale issue de l’Article 1750 du Code Civil, peu importe que l’un des époux ne réside plus dans les lieux.
Bien que l’arrêt objet de la présente note ne porte pas sur cette autre source de cotitularité légale, il convient de conserver à l’esprit qu’elle intéresse encore, au terme de la Loi 2014-366 du 24 Mars 2014, les personnes pacsées.
A la différence de l’effet automatique de l’Article 1750 du Code Civil pour les époux sous les conditions précédemment indiquées, la cotitularité légale entre pacsés est subordonnée à la formalisation d’une demande conjointe par les pacsés auprès du bailleur.
S’agissant d’une disposition d’ordre public de protection il est peu vraisemblable qu’une opposition du bailleur à une telle demande puisse être favorablement accueillie.
Ce formalisme met cependant en évidence une différence substantielle de régimes juridiques entre la cotitularité légale des époux et celle des pacsés.
La première s’applique automatiquement y compris contre la volonté des époux et/ou cocontractants.
La seconde ne s’applique que si les pacsés en manifestent la volonté.
Seule la formalisation de la demande conjointe obligera le bailleur à respecter le formalisme des notifications aux fins d’opposabilité au pacsé non signataire du contrat de bail qui aura formalisé conjointement avec son compagnon la demande de cotitularité.
En l’absence d’une telle formalité, la cotitularité n’existe pas pour les personnes pacsées et le bailleur n’a pas à respecter le formalisme des notifications au pacsé ne bénéficiant pas de la cotitularité.
Il s’agit d’une différence notable avec le régime des époux.
En effet, l’obligation contenue par l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989 pour un époux locataire de porter à la connaissance du bailleur l’existence d’un conjoint n’a de conséquence qu’en matière d’opposabilité des notifications ou significations faites par le bailleur.
Cette obligation est dépourvue d’effet sur l’existence de la cotitularité sauf à ajouter une condition que le texte ne contient pas (Civ. 3, 09.11.2011, n°10-20.287 : Jurisdata n° 2011-024674).
Ainsi, le défaut d’information du bailleur par les preneurs est sans effet sur la naissance de la cotitularité légale des époux qui produit donc ses effets au profit de l’époux non déclaré.
Tel a été le cas dans l’arrêt du 9 novembre 2011 : un époux divorcé et remarié alors qu’il occupait les lieux sans avoir informé son bailleur de l’existence de ce second mariage n’honore plus ses loyers ; un commandement de payer lui est délivré et produit effet à son égard ; la résiliation n’est pas opposable à la seconde épouse qui peut continuer à profiter du bail du fait de la cotitularité née du seul mariage alors même que l’existence de cette union n’avait pas été portée à la connaissance du bailleur avant la délivrance du commandement de payer.
En l’espèce, le bailleur n’a appris l’existence de la seconde épouse qu’en cours d’instance mais n’a pas demandé que la résiliation lui soit déclarée opposable par application de l’article 9-1 de la loi du 6 juillet 1989.
La solution aurait-elle été identique en l’absence d’intervention de la seconde épouse à l’instance aboutissant au prononcé de la résiliation du bail si le bailleur n’avait pu avoir connaissance de l’existence de cette seconde épouse qu’au regard de la mention apportée au PV de notification du commandement de payer remis en l’absence du seul signataire à son épouse « ainsi déclarée » présente au domicile ?
Une lecture attentive et prudente des actes de notification apparaît recommandée.
Autres exemples de conséquences de la cotitularité légale :La cotitularité légale du bail d’habitation est en effet source d’obligations et de droits tant pour les occupants que pour le bailleur.
Les cotitulaires par effet du mariage ou du pacs sont tenus aux mêmes obligations et bénéficient de la même protection.
Il en est de même du propriétaire bailleur qui pourra solliciter l’accomplissement des obligations de l’occupant à l’encontre de chaque cotitulaire et devra respecter ses propres obligations au profit de chaque cotitulaire.
La cotitularité légale ouvre un droit au bail au profit des époux en cas de divorce ou de séparation de corps (Article 1751 alinéa 2 du Code Civil) ou des pacsés en cas de séparation (Article 1751-1 du Code Civil).
Le régime juridique du PACS est là encore bien différent de celui du mariage puisqu’il prévoit que l’attribution judiciaire du droit au bail suite à une rupture de PACS doit être soumise au Tribunal d’Instance qui, tout comme le Juge aux Affaires Familiales dans le cadre d’une procédure de divorce ou séparation de corps, devra privilégier les intérêts sociaux et familiaux en cause pour trancher le désaccord sur l’occupation et l’attribution du logement.
A la différence de la procédure de divorce ou séparation de corps, le propriétaire bailleur d’un couple pacsé doit être appelé à l’instance.
Le jugement lui sera donc opposable dès son prononcé.
Distinction entre cotitularité et solidarité :Parfois confondues, la cotitularité et la solidarité obéissent à des régimes distincts et ne se confondent.
Parallèlement à la cotitularité légale les époux et pacsés sont, du fait de la Loi, débiteurs solidaires du montant du loyer à l’égard du propriétaire :
- en vertu de l’Article 220 du Code Civil pour les époux,
- en vertu de l’Article 515-4 du Code Civil pour les pacsés qu’ils soient cotitulaires ou non.
Le loyer et les charges sont considérés dans chacun des deux cas comme des dépenses de la vie courante emportant solidarité.
La solidarité s’impose aux époux et pacsés que ces derniers soient cotitulaires ou non.
A l’inverse des pacsés qui doivent en manifester le désir, la cotitularité légale issue de l’Article 1751 du Code Civil a un caractère impératif.
Elle profite aux époux « nonobstant toute convention contraire ».
Ce principe a été affirmé et rappelé depuis longue date (Civ. 3 13.02.1969 Bull. Civ. 1969, III, n°135 ; JCPG 1969, IV, 73).
Il s’agit là d’un important tempérament à la liberté conventionnelle tant au regard du droit des baux qu’au regard du droit des régimes matrimoniaux.
Toute convention contraire, qu’elle figure au sein d’un bail d’habitation ou d’une convention matrimoniale, s’effacera face au caractère impératif des effets de la cotitularité légale par mariage.
Alignement des régimes de la cotitularité et de la solidarité en cas de divorce :Il est également admis depuis plusieurs années que la solidarité des époux, preneurs à bail, issue de l’Article 220 du Code Civil cesse du jour de la transcription du jugement de divorce sur les registres de l’état civil (Civ. 3 03.10.1990 n°88-18.453 : Jurisdata n°1990-002536) qui rend le divorce opposable aux tiers.
L’arrêt de la 3ème Chambre Civile du 22 Octobre 2015 concrétise les effets de la transcription du jugement de divorce sur les registres de l’état civil.
Cette décision affirme que la transcription du jugement ayant attribué le droit au bail à l’un des époux met fin à la cotitularité.
Cette décision renforce l’application impérative de l’Article 1751 du Code Civil puisqu’elle affirme que cette transcription du jugement de divorce met fin à la cotitularité tant légale que conventionnelle.
Dans l’espèce soumise à la Cour les époux bénéficient de la cotitularité légale du fait du mariage mais avaient également stipulé conventionnellement l’existence d’une cotitularité.
Le demandeur au pourvoi soutenait que si la transcription du jugement de divorce avait éteint la cotitularité légale issue de l’Article 1751 du Code Civil, la cotitularité conventionnelle perdurait en l’absence de congé délivré par l’époux non occupant qui ne s’était pas vu attribuer le droit au bail sur le logement familial dans le cadre de la procédure de divorce.
L’époux occupant, bénéficiaire de l’attribution du droit au bail, étant décédé en laissant plusieurs mois de loyers impayés le propriétaire bailleur recherchait donc l’ex époux (non occupant) sur le fondement de la cotitularité conventionnelle (il ne le pouvait plus sur le fondement de la solidarité de l’Article 220 du Code Civil) en invoquant l’absence de congé et la persistance de la cotitularité conventionnelle.
Selon le demandeur au pourvoi la transcription du jugement de divorce n’aurait éteint que la cotitularité légale issue de l’Article 1751 du Code Civil sans mettre fin à la cotitularité conventionnelle.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en décidant que la transcription du jugement ayant attribué le droit au bail à l’un des époux met fin à la cotitularité tant légale que conventionnelle.
L’ex époux n’a plus de droit au titre du bail ni d’obligation et perd à compter de cette date la qualité de titulaire.
La cotitularité conventionnelle ne survit pas plus que la cotitularité légale à l’attribution judiciaire du droit au bail lors du jugement de divorce ou de séparation de corps dont les effets sont opposables aux tiers à compter de sa transcription.
Les régimes juridiques des Articles 220 et 1751 du Code Civil sont donc harmonisés sans qu’il y ait lieu de s’attacher au caractère légal ou conventionnel de la cotitularité.
Qu’en serait-il en cas de séparation de partenaires pacsés ?Une solution comparable pourrait être envisagée sur le plan des conséquences.
Elle obéirait néanmoins à la procédure propre de l’Article 1751-1 du Code Civil au terme de laquelle les partenaires pacsés saisissent le Juge d’instance afin que soit tranché, lors de la dissolution du PACS, le différend relatif à l’attribution à l’un d’entre eux du droit au bail.
La procédure prévoit alors que le bailleur soit appelé à la cause.
Il pourrait donc être mis un terme par effet du jugement, qui aura donc autorité de la chose jugée entre les parties à compter de son prononcé, à la cotitularité légale et conventionnelle (si elle existe) dans le cadre d’une décision à la construction de laquelle, à la différence du divorce ou de la séparation de corps, le propriétaire bailleur aura participé et qui lui sera opposable.
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